Marie Jeanne IZERT – Le certificat d’étude

Graphie classique

On va commencer par vous, Madame, si vous le voulez bien.

– Parce que je suis la plus instruite. Sei la plus instruita. Figuratz-vous qu’aguèi mon certificat a dotze ans.

– Ah, ben ! Alors, ça, c’est…

– Alors, ils m’ont dit, lo, lo…

– Le docteur ?

– Oui, le docteur que je suis allé voir pour mes jambes. Il m’a
demandé : « Quel âge vous avez ? » Bon, je le lui ai dit,
mais je le lui ai dit en patois. Mais il comprend le patois. Alors, il m’a
dit : « Mais vous êtes née en quelle année ? »
Alòr
ai tórnat començar. Ieu ai dich : « Sei naissuda lo vint-e-sèt de
març de mila nòu cènt dètz-uech, e sei naissuda a la Sella, en Corrèsa, bien
seür. Et puis, ieu ai dich : E
après mos parents venguèren travalhar a costat d’a Trènha, anère a l’escòla
au Borget. Aguèi mon certificat au Borget. Mon institutor, qu’èra… Ah ! Je vous dirai tout. Mon
institutor qu’èra un blessat de guèrra, n’aviá mas ‘na chamba. Èra de Sant
Alari. Saint Hilaire les Combes, en
patois,
Sant Alari las Combas. Et
il m’a présentée,
me presentèt au Certificat
d’Etude
a dotze ans. Quand i sei anaa passar lo certificat, me dísset ‘na
chausa que m’embestièt màger, me lo disiá en
francés. Ei que sabe pas chantar. « Te fau chantar se sei recebuda. Los
examinators, eh bè, te lou poran pas ».
Me dissèt : « Çò que te pòde aprener qu’ei la Madelon. » Alòr
m’a dich : « Nous aprenèm tots dos la Madelon. » Me chantèt la
Madelon e me l’aprenguèt. E ieu aprenguèi la Madelon e la chantèi au Certificat d’Etude. Ah, petit ! E
bè i èra tres examinators, je pouvais
pas le dire en patois, c’est ma langue qui est sèche, c’est parce que je
parle pas assez.

– Volètz un veire d’aiga ?

– Non, ei pas la pena. Voei,
alòr la […] chantèi. […]
Siguèren contents, siguèi aplaudida. E mon institutor venguèt m’embraçar e me
dissèt : « Sei très
content de tu ».

 

Graphie Mistralienne

– On va commencer par vous, Madame, si vous le voulez bien.

– Parce que je suis la plus instruite. Sei la plus istruito. Figurà-vou qu’aguèi moun certificat à douze an.

– Ah, ben ! Alors, ça, c’est…

– Alors, ils m’ont dit, lou, lou…

– Le docteur ?

– Oui, le docteur que je suis allée voir pour mes jambes. Il m’a
demandé : « Quel âge vous avez ? » Bon, je le lui ai dit,
mais je le lui ai dit en patois. Mais il comprend le patois. Alors, il m’a
dit : « Mais vous êtes née en quelle année ? »
Alor,
ai tourno coumençà. Iéu ai dich : Sei neissudo lou vint-e-sèt de mars de
milo nòu cent-dios-ue, e sei neissudo à la Sello, en Courrèzo, bien sur. Et puis, iéu ai di : Moui parent
venguèron travaià à coutat d’a Tregno, anèi à l’ecolo au Borget. Aguèi moun
certificat au Borget. Moun istitutour, qu’èro… Ah ! je vous dirai tout. Moun istitutour qu’èro un blassat
de guerro, n’aviá ma ‘no chambo. Èro de Sent Alàri. Sainte Hilaire les Combes, en patois, Sent Alàri la Coumbà. Et il m’a présentée. Me presentè au Certificat d’Etude à douze an. Quand i
sei anà passà lou certificat, me disse ‘no sauso que m’enbeitiè mage, me lou disiá en francés. Ei que sabe pas
santà. « Te fau santà se sei recebudo. Lous eisaminatour, eh bè, te lou pouron pas. » Me dissè : « Ça que te
pode aprené qu’ei la Madelon. » Alor, m’a di : « Nous aprenèn
tou dou la Madelon. » Me santè la Madelon e me l’apreguè. E iéu
l’apreguèi e la santèi au Certificat
d’étude
. Ah, petit ! I’èro tre… eisaminatour, je pouvais pas le dire en patois, c’est ma langue qui est sèche,
parce que je parle pas assez.

– Voulè un veire d’eigo ?

– Noun, ei pas la peno. Vouei,
alor la […] santèi. […]
siguèron countent, siguèi aplaudido. E moun istitutour venguè
m’embrassà e me dissè : « Sei très
countent de tu. »

 

Traduction

– On va commencer par vous,
Madame, si vous le voulez bien.

– Parce que je suis la plus
instruite. Je suis la plus instruite. Figurez-vous que
j’ai eu mon certificat à douze ans.

– Ah, ben ! Alors, ça,
c’est…

– Alors, ils m’ont dit, le, le…

– Le docteur ?

– Oui, le docteur que je suis
allé voir pour mes jambes. Il m’a demandé : « Quel âge vous
avez ? » Bon, je le lui ai dit, mais je le lui ai dit en patois.
Mais il comprend le patois. Alors, il m’a dit : « Mais vous êtes
née en quelle année ? Alors, j’ai recommencé. Je lui ai dit :
« Je suis née le 27 mars 1918, et je suis née à la Selle, en Corrèze
bien sûr. » Et puis, j’ai dit : « Et après mes parents sont
venus travailler à côté de Treignac, je suis allée à l’école au Borget. J’ai
eu mon certificat au Borget. Mon instituteur qui était… Ah ! je vous
dirai tout. Mon instituteur qui était un blessé de guerre, n’avait qu’une
jambe. Il était de Saint Hilaire. Saint Hilaire les Combes, en patois Saint
Hilaire les Combes. Et il m’a présentée, il m’a présentée au Certificat
d’Etude à douze ans. Quand j’y suis allée, passer le Certificat, il m’a
dit une chose qui m’a beaucoup embêtée, il me le disait en français.
C’est que je ne sais pas chanter. « Il te faut chanter si tu es reçue.
Les examinateurs ne te […] ». Ce que je
peux t’apprendre c’est la Madelon. » Alors, il m’a dit :
« Nous apprenons tous les deux la Madelon. »  Il m’a chanté la Madelon et il me la
apprise. Et moi je l’ai apprise et je l’ai chantée au Certificat d’Etude. Ah,
petit ! Eh bien, il y avait trois examinateurs, je pouvais pas le dire
en patois, c’est ma langue qui est sèche, c’est parce que je parle pas assez.

– Voulez-vous un verre
d’eau ?

– Non, ce n’est pas la peine.
Oui, alors […] je l’ai chantée. […] Ils ont été contents, j’ai été applaudie. Et mon
instituteur est venu m’embrasser et il m’a dit : « Je suis très
content de toi. »

 

Note

Il y a quelques mots qui n’ont pas été compris ou dont on
n’est pas sûr. Ils ont été notés […].

Le parler de Treignac, celui de Marie-Jeanne IZERT peut
être rattaché au bas limousin, même s’il y a quelques caractéristiques que
l’on trouve plus fréquemment en haut limousin (plus au nord, Haute Vienne)
sans être une règle absolue. Ainsi il y a des accents toniques qui se
déplacent comme « disse/dísset » à côté de « dissèt » (il
dit au passé simple), ou bien « a cóstat/à coutat », « tourno/tórnat »
(participe passé) pour « tournà/tornat » que l’on trouve dans
l’ensemble de la langue d’oc. Egalement « Trègno/Trènha » là où le
français a « Treignac ». Cela serait dû à la chute des
« t » et « c » finaux. En revanche on note « aprener/aprené »
pour « aprener/aprene » et comme souvent en limousin
« la comba/la coumbo » au singulier et « las combàs/la
coumbà » au pluriel. Il s’agit sans doute là du « s » du
pluriel et peut-être du « r » de l’infinitif qui ne se prononcent
pas mais qui allongent la voyelle qui les précède. Enfin, on remarque le
pronom personnel post-tonique « figuratz-vos/figurà-vou ».

On entend ([sauzo]) pour « chauso/chausa ». Mais
ce [s] et ce [z] sont légèremement chuintés.

Alors que le « d » des participes passés au
féminin « ada, ida, uda/ado, ido, udo » est toujours conservé
« naissuda/neissudo, aplaudida/aplaudido »), on entend « sei
anaa/sei anà » comme dans le nord de l’Ardèche ou de la Drome. À moins
que ce soit un défaut d’accord « sei anat/sei ana ».

Le groupe « sc » est réduit à [c] « escòla/ecolo »,
« esperar/esperà », estonat.etounà ».

Les « s » finaux ne sont jamais prononcés :
« mas » [ma], même dans les formes verbales :
« diràs/diras » [dira].

La désinence de la première personne es souvent en
« e » : « chante, partisse ».

Information

Nom

IZERT

Prénom

Marie-Jeanne

Année de naissance

1918 (27 mars)

Profession

 

Parcours

.

Entretien

Projet Daddipro – Equipe Thésoc – Université de Nice

Date de collectage

20 octobre 2010

Commune(s)

Treignac (19260)